A première vue Cuba pourrait sembler anachronique ou hors du temps. Les vieilles bagnoles américaines des années 50 remplissent encore l’essentiel du faible réseau routier local. On danse toujours le cha cha cha à La Havane, on y écoute toujours le Buena Vista Social Club. Mais le fond de l’air semble un peu moins rouge. La lutte, un peu moins urgente. La Révolution est encore gravée sur les murs, inculquée dans les écoles, elle est dans toutes les bouches. Mais seules les générations qui ont vécu le combat initial de la révolution cubaine en comprennent encore le sens et l’importance. Les générations suivantes ont trop souffert de la « période spéciale » pour ne pas se réjouir d’une timide libéralisation du pays, et les plus jeunes n’ont que faire de l’histoire révolutionnaire.

Cuba change. Le pays « s’ouvre » comme diraient certain-e-s. Il suffit de rentrer dans un centre commercial havanais. C’est le mallaméricain à son heure de gloire : des boutiques à tous les étages, des fast food au milieu et cette envie générale et irrépressible de consommer, d’acheter. Les dealers de rue proposent une nouvelle drogue à la population : pour quelques pesos, chacun-e peut se connecter à internet, partageant de lentes connexions avec des dizaines d’autres client-e-s. Cuba change rapidement. Le nouvel afflux de touristes américain-e-s gonfle les poches des propriétaires de casas particulares et enrage les fonctionnaires en manque de salaire de complément.

Mais Cuba demeure Cuba. S’il n’y a encore personne qui ne dorme dans la rue, c’est que personne n’est trop ‘personne’ pour être laissé pour compte. Si les voitures des années 50 roulent encore, c’est qu’on les répare plutôt que de les jeter à la casse et d’en acheter de nouvelles. Le Resolver (la débrouille) est une nécessité nationale dont tout le monde s’est fait champion-ne. L’agriculture n’utilise pas de pesticides. Les hôpitaux soignent tout le monde gratuitement, peu importe les situations sociologiques ou économiques des malades. Les enfants peuvent courir dans les rues à toute heure, les jeunes femmes rentrer seules la nuit. Tout n’est pas parfait, loin de là. La liberté collective a été gagnée, des libertés individuelles restent à conquérir. La pénurie rend souvent les fins de mois difficiles. La surveillance entre voisin-e-s n’a pas toujours la couleur de la bienveillance. Mais les réussites cubaines qui persistent en dépit d’un embargo criminel doivent nous questionner. Si Cuba est anachronique, sommes-nous si sûr.e.s d’être dans le bon sens de l’histoire ?

At first glance, Cuba might seem anachronistic or out of time. The old American cars from the 1950s still dominate the majority of the local road network. The cha-cha-cha is still danced in Havana, and the Buena Vista Social Club is still listened to. But the atmosphere seems a bit less red. The struggle, a bit less urgent. The Revolution is still engraved on the walls, instilled in schools, it's on everyone's lips. But only the generations who lived through the initial battle of the Cuban revolution still understand its meaning and importance. The subsequent generations have suffered too much from the "Special Period" not to rejoice in a timid liberalization of the country, and the younger ones don't care about the revolutionary history.

Cuba is changing. The country is "opening up," as some would say. Just step into a Havana shopping center. It's the American mall at its peak: shops on every floor, fast food in the middle, and this general and unstoppable desire to consume, to buy. Street dealers offer a new drug to the population: for a few pesos, everyone can connect to the internet, sharing slow connections with dozens of other clients. Cuba is changing rapidly. The new influx of American tourists fills the pockets of owners of private houses and enrages officials in need of extra income.

But Cuba remains Cuba. If there's still no one sleeping on the streets, it's because no one is too 'nobody' to be left behind. If the cars from the 1950s are still running, it's because they're repaired rather than scrapped and replaced with new ones. "Resolver" (making do) is a national necessity at which everyone has become a champion. Agriculture doesn't use pesticides. Hospitals treat everyone for free, regardless of the patients' sociological or economic situations. Children can run in the streets at any hour, young women can return home alone at night. Everything is not perfect, far from it. Collective freedom has been won, but individual freedoms remain to be conquered. Shortages often make the end of the month difficult. Neighborly surveillance doesn't always have the color of benevolence. But Cuban successes that persist despite a criminal embargo should make us question ourselves. If Cuba is anachronistic, are we so sure we are on the right side of history?

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