Intersidérant
A trop se vendre comme le nouveau Kubrick, Christopher Nolan en récolte des critiques pas toujours (ni souvent) à son avantage. Fair enough. Que l’on fasse partie de ceux qui déifient le réalisateur de 2001 ou non, force est de constater qu’il n’en partage ni le génie, ni la vision. Malgré toutes ses qualités techniques, Interstellar n’arrive pas à la cheville d’un Gravity[i] en termes de sensations cosmiques. Et niveau questionnement métaphysique, il se situe bien loin d’un Terrence Malick, pourtant référence assumée du sauveur de Batman Inc.
L’échec est dur mais cohérent. Inception aurait dû faire figure d’avertissement. A l’époque, la presse s’enflammait devant tant d’ambition narrative. Elle comparait presqu’unanimement ce « tour de force » à des œuvres aussi renversantes que Matrix[ii]. Il est vrai que Nolan s’attaquait à une grande montagne conceptuelle. Le rêve, ses différentes couches possibles, son étendue psychique… Mais malgré l’expertise affichée, Inception n’est autre qu’un blockbuster haut de gamme, finement monté, mais au bout du compte sur-simplifié par des studios et un réalisateur-producteur frileux (ou avides, au choix). Les authentiques ingéniosités cinématographiques (le couloir tournant, les immeubles de Paris se repliant littéralement sur nous, etc.) se retrouvent étouffées par des choix commerciaux déguisés en volonté esthétique. C’est le cas notamment des différents niveaux de rêve, cœur du projet, facilement reconnaissables par le spectateur puisque les univers sont volontairement extrêmement différenciés : blancheur d’un décor totalement enneigé, urbanisme bleuté de la ville rêvée, maison japonaise filmée d’un jaune à faire jaunir Jean-Pierre Jeunet. Les DVDs américains ont failli voir s’afficher des numéros leur rappelant dans quelle couche de rêve évoluent les personnages.
Lorsque Nolan quitte Sundance pour Hollywood (après Memento), il passe de la réalisation de films intelligents à un cinéma qui offre l’illusion au spectateur de l’être. Peu importe qu’il faille répéter plusieurs fois et par différents personnages les concepts scientifiques du film pourvu que le plus inattentif des spectateurs ne s’y perde pas. Intelligent ? Surtout rentable[iii]. Néanmoins, Nolan passe aussi du statut prometteur d’auteur singulier à celui, peut-être aussi prestigieux, de génial propagandiste. Car ne nous y trompons pas, si Nolan le britannique a une vision c’est bien celle d’une Amérique héroïque et civilisatrice.
« Je transpose dans l’espace l’idée de « destinée manifeste » des pionniers américains, qui souhaitaient répandre la démocratie en peuplant les nouveaux territoires. »[iv]assume-t-il. Matthew McConaughey est donc Coop (clin d’œil à un célèbre astronaute américain), pionnier du futur dans un monde en décomposition. Lorsque les enseignants de sa fille tentent de lui apprendre que la conquête spatiale n’était qu’un épouvantail pour faire éclater l’URSS, il se fâche. Il la connait l’Histoire, la vraie, celle des Etats-Unis homériques et tout puissants. Rejetant ce déclinisme imposé par l’éducation nationale (métaphore de l’administration Obama ?), Coop refuse aussi d’adapter ses habitudes à la décrépitude de la planète (accélérée ici par une tempête de sable constante). Son odyssée lui donnera raison puisqu’ils seront élus, lui et sa fille, pour mener à bien le sauvetage de l’humanité.
Bien qu’en réalité ils se soient élus mutuellement, nous retrouvons bien la destinée biblique propre aux films hollywoodiens puisque des forces surnaturelles bienveillantes (et qui existent en 5 dimensions) les ont trouvés et guidés jusqu’à la victoire. Portés par les orgues d’Hans Zimmer (saluons la variation musicale, si rare chez lui) et par l’amour qu’ils se portent, Coop et sa fille réussiront l’impossible : déménager l’humanité en perdition sur de nouvelles planètes habitables. Le salut de la crise écologique viendra donc de prodiges américains climato-sceptiques, ne vous inquiétez pas.
Ne vous inquiétez encore moins pour la suite, l’Amérique prévoit toujours tout (les irakiens vous le diront). Après avoir lancé la colonisation de nouveaux horizons (dont on ne saura si de potentiels habitants y seront délogés), notre fine équipe de la NASA dirigée par la fille surdouée de Coop (Jessica Chastaing) recréera un monde parfait où l’on joue au baseball dans le calme et où les maisons sont de piètres copiées-collées du rêve banlieusard américain. L’universel en somme, hollywoodien s’entend.
Kubrick peut donc se retourner tranquillement dans sa tombe. L’un de ses descendants proclamé finira sur la même ligne au panthéon des cinéastes que son successeur chez Batman, Zack Snyder. Là où le Monolithe provoquait questionnements et débats philosophiques, les robots CASE et TARS frôlent la simple référence, touchent la simple déliquescence. Dotés d’intelligences artificielles hors du commun (tout comme Hal), ils demeurent paradoxalement toujours subordonnés aux humains. Lorsque dans la panique (émotion humaine), la voix de CASE reprend difficilement son souffle, nous frisons le ridicule.
Interstellar prouve au moins une chose : la finitude de la planète, sujet de plus en plus préoccupant, provoque psychoses et (des)espérances. L’espace d’un instant, lever les yeux au ciel et rêver en direction des étoiles peut s’avérer un agréable palliatif. Evitons juste de contempler les trous noirs que nous propose Christopher Nolan.
[i] Lire aussi https://matthieuponchel.com/index.php/2015/11/02/hollywood-en-apesanteur/
[ii] Le « tour de force » pouvait être lu dans Metro, la comparaison à Matrix dans Le Parisien : https://www.leparisien.fr/cinema/critiques-cinema/inception-impressionnant-21-07-2010-1007769.php#xtref=http%3A%2F%2Fwww.allocine.fr%2Ffilm%2Ffichefilm-143692%2Fcritiques%2Fpresse%2F
[iii] Ses neufs longs métrages ont rapporté 3,5 milliards de dollars de recette pour un coût cumulé de 836 millions, source Le Monde
[iv] Le Monde, entretien d’Auréliano Tonet avec Christopher Nolan, journal du 5 novembre 2014