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Lumet’s not dead

27 February 2016

Il y a deux choses qui, si bien amenées et jouées, me font souvent sortir les mouchoirs au cinéma. Et autant prévenir, ce n’est pas Guillaume Canet.

La première est purement empathique : je pleure avec les personnages qui subissent au plus près une mort injuste. Ça peut-être lorsqu’une mère apprend la mort de son fils, forcément parti trop tôt. Ou quand par exemple, confrontés à la mort d’Oscar Grant[i], jeune noir tué par un policier blanc, sa famille se serre les uns aux autres avec dignité. Et comme un bon américain qui supporte moins le meurtre d’un chien que du héros, je couine toujours lorsque les yankees tuent le cheval de John Dunbar[ii].

Et puis il y a le courage. Celui qui pousse un personnage à puiser dans son cœur pour aller contre le courant, au moment où le plus confortable serait de ne rien faire. Ce courage-là me remue. Allez savoir pourquoi, celui qui laisse les pantoufles auprès du feu pour aller affronter les bottes m’émeut.

A montrer cela, Sydney Lumet était un génie. Réalisateur de commande, comme il aimait le rappeler, il nous lègue une cinquantaine de films dont la plupart au cinéma content la même histoire : celle d’un homme se dressant contre une société corrompue, d’un marginal dans un environnement qui n’aime pas que l’on sorte du rang. Jamais complétement blancs non plus, les chevaliers de Lumet cherchent la pureté dans un monde gris. Ils mènent des combats, en général perdus d’avance, contre l’injustice et l’indifférence. Parfois, cela permet au héros de faire sa rédemption (Paul Newman dans The Verdict), ou bien de conserver son intégrité (Henry Fonda dans 12 Hommes en colère). Parfois, l’espace d’un instant en tous cas, un système explose (The Network).

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Dernièrement, alors que je m’apprêtais à quitter la salle puant l’eau de rose que l’on m’avait aspergé pendant vingt minutes,  je me suis surpris à verser ma petite larme. Et à rester. Alors que le studio et/ou le réalisateur me prenaient pour un pigeon avec leur ‘inspiré de faits réels’, qu’ils me gâchaient ma tranquille saint valentin avec de lents travellings sur des visages transits, l’histoire m’a rattrapé. Plus qu’une histoire, un combat. Celui des droits et de la dignité humaine. Free Love[iii], c’est une policière lesbienne (Julianne Moore) qui tombe gravement malade et qui veut filer sa pension à sa jeune compagne (Ellen Page). C’est d’abord un coming out dans un milieu mâle et conservateur (la police), mais ensuite une lutte pour la reconnaissance dans un milieu réactionnaire (un county républicain du New Jersey). C’est du mini Lumet. Des flics homophobes qui viendront finalement défendre leur collègue au tribunal. Un politique à quelques mois d’une réélection qui brise par son désaccord la règle tacite du vote unanime. Un patron de garage macho qui soutient la jeune femme face aux rednecks menaçants.

Il suffit d’un regard qui change, d’une attitude hésitante (la conscience qui s’éveille) se transformant en geste (l’action courageuse) pour susciter cette émotion. Que j’en avais besoin ! Et visiblement mes cospectateurs aussi, puisque le bruit des paquets de mouchoirs couvraient presque la bande son du blockbuster de la salle adjacente.

Il faut dire qu’on aimerait bien en voir du courage comme celui-ci, aujourd’hui, dans nos journaux ou sur nos chaînes d’actualités non-stop. Certes, il y a quelques semaines, six députés (sur 577) ont osé voter contre l’état d’urgence. En fera-t-on un film ? On ne sait jamais, peut-être un vent de libération soufflera prochainement sur notre pays, que le délire sécuritaire se heurtera aux résistances libertaires de nos concitoyens. Toujours est-il que Free Love, tout comme Spotlight, favori des médias américains dans la course aux oscars, traitent d’histoires passées finissant sur des victoires contre l’injustice. C’est la différence avec Lumet. Mis à part dans Dog Day Afternoon, fait divers devenu symbole sociétal, Lumet nous racontait des histoires contemporaines et dessinait subtilement la corruption générale de la société américaine. Peu de happy ends donc, puisque dans la vie, aux exceptions heureuses comme dans Merci Patron![iv], il est rare que le marginal l’emporte contre le système. Mais peu importe, puisque le cinéma permet d’en rêver et d’y réfléchir.

S’ils ne s’étaient pas senti obligés de nous infliger les photos de la vraie policière Laurel, en chimio enlacée par sa partenaire, je serais surement sorti de Free Love réjoui d’avoir retrouvé des personnages courageux au cinéma. Même si mes pleurs s’avèreraient consensuels avec le recul, il m’aurait plu d’imaginer une année 2016 plus lumetienne au cinéma. Malheureusement, si le courage est en manque dans notre petite classe politique, il semble l’être tout autant sur nos grands écrans.

Lumet’s not dead, but he may soon be.

 

 

 

[i] Fruitvale Station de Ryan Coogler

[ii] Danse avec les loups de Kevin Costner

[iii] Freeheld en anglais, réalisé par Peter Sollett

[iv] Merci patron! de François Ruffin, génial documentaire où le prolétaire gagne une manche contre l’oligarque

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