Un bon arabe très recherché
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The denigration of one people is the denigration of all people
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Nul besoin d’être un chauvin fini pour apprécier les rôles de méchants à Hollywood de nos acteurs et actrices nationaux. Vincent Cassel chez Cronenberg ou Boyle, Mathieu Amalric dans James Bond, et j’oserais presque, Marion Cotillard dans le dernier Batman (retirons peut-être cette dernière). Entre la satisfaction d’avoir constaté leur talent bien longtemps avant que des studios américains ne les considèrent dans leurs scripts et le plaisir cinéphile de découvrir de bons méchants, la chose est entendue. En plus, en général, leur carrière américaine s’étend rapidement à des rôles plus aimables (Jimmy P., The Grand Budapest Hotel… pour Amalric ; Nine, Une grande année, Public Ennemies pour Cotillard) ou du moins plus variés (Black Swan pour Cassel). Ils sont talentueux et reconnus comme tel mondialement. Que leur prestation soit excellente ou qu’ils passent à côté, le public français ne leur en tiendra pas (trop) rigueur. Ce sont devenus des stars internationales, jugées comme telles par un public mondialisé.
Pourtant, lorsque Sami Bouajila ou Reda Kateb font leur entrée à Hollywood par contre, les répercussions ne sont pas les mêmes. Au vu des studios, leur nationalité française importe peu. Ce sont des « arabes », avec un accent qui les rend plus étrangers. Ils jouent des terroristes et pour le moment n’ont pas été rappelés par Hollywood pour des rôles plus aimables ni plus variés. Sont-ils moins talentueux que les autres acteurs français ayant mis un pied outre atlantique ? Ou participent-ils comme beaucoup avant eux à la vision binaire et orientaliste d’Hollywood ? La question n’est pas tant de jauger leur responsabilité dans la représentation diabolisante de l’arabe à Hollywood. On pourrait arguer qu’ils représentent l’image mondialement véhiculée de l’arabe, que celle-ci est dommageable pour les arabes et qu’en tant que citoyens concernés (consternés ?), ils pourraient refuser d’interpréter ce type de personnages. J’imagine cependant qu’il est difficile pour un comédien de refuser un rôle pour Edward Zwick ou Katherine Bigelow.
L’idée serait plutôt ici de faire le point. Dans une interview aux Inrocks, Reda Kateb annonçait que « la place de l’arabe dans le cinéma français [avait] changé » [i]. Par-là, il veut dire qu’elle s’est améliorée. Malgré de grosses caricatures commerciales (Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu, encore au cinéma même après sa sortie DVD), il faut reconnaître qu’il témoigne d’une évolution bien réelle. De cette complexité nouvelle et contemporaine dans la Haine en 1995, au statut de héros dans les grosses productions historiques de Bouchareb des années 2000, l’arabe s’est fait une place beaucoup plus juste et représentative dans le cinéma français. Il n’y a qu’à voir l’énorme éventail de rôles ordinaires tenus aujourd’hui par Roschdy Zem ou même Bouajila pour attester d’une évolution des mœurs en France sur ce sujet. En plus de jouer de bons musulmans, ils interprètent parfois des personnages dont l’origine ou l’appartenance religieuse importent peu au scénario.
Est-ce dû à la présence grandissante d’auteurs et producteurs arabes dans le paysage cinématographique français ? A la reconnaissance tardive mais authentique d’une société de sa diversité ? Au désir enfin reconnu d’un public arabe nombreux et exigeant ? Surement un peu de tout ça. Toujours est-il qu’une telle évolution a son importance en ses ces temps d’islamophobie croissante. Comme disait Platon, ceux qui racontent les histoires dirigent la société. Le cinéma a ce pouvoir, du moins en partie : d’éveiller les consciences et/ou de former les mœurs. Seulement, le cinéma français n’a pas l’influence de son grand frère américain sur les esprits. Que ce soit à l’étranger de toute évidence, ou même en France (combien d’entrées pour Expandables 3 face à Hippocrate ?), la machine de guerre américaine est rodée et terriblement efficace.
Or, Hollywood demeure encore un vecteur puissant de sentiment anti-arabe. Lorsque Jack G. Shaheen termine son ouvrage sur la représentation de l’arabe au cinéma américain en 2002[iii], il comptabilise plus de 1 000 films dénigrant ou caricaturant l’arabe. Depuis l’invention du cinéma (déjà chez Griffith et Méliès), l’arabe est un méchant Sheikh obsédé ou un dangereux indigène. En plus d’un siècle, cela n’a presque pas changé, l’arabe demeurant le méchant numéro un dans les imaginaires de scénaristes peu inventifs. Pendant longtemps, le noir fut ridiculisé par Hollywood. Durant une sombre partie de notre histoire commune, le juif représentait le Mal au cinéma (aux US aussi). Mais depuis toujours, l’arabe fut moqué, vilipendé ou caricaturé. Pourquoi les groupes de pression noirs ou juifs ont réussi à changer la donne et pas les arabes ?
Sur l’imaginaire collectif, les conséquences sont désastreuses. Imaginer un terroriste aujourd’hui, c’est imaginer un arabe. Quelle ligne à franchir pour qu’imaginer un arabe revienne à imaginer un terroriste ? Il existe pourtant nombre de terroristes qui ne soient ni arabes ni musulmans (certains groupes séparatistes, Anders Breivik, Carlos avant son incarcération, certaines milices d’extrême droite américaine, etc.). Choisir presque systématiquement un arabe pour le rôle du méchant, c’est corroborer l’idée que la plus grande menace mondiale est islamiste, que les arabes sont tous musulmans et que tous les musulmans sont violents et dangereux. C’est dire qu’il y a nous, et eux.
A l’heure des horreurs de l’Etat Islamiste, ceci n’est plus acceptable. Chaque production hollywoodienne représentant l’arabe comme une menace accentue la psychose générale à l’égard des arabes. On ne peut plus, aujourd’hui, se réjouir de la bonne facture et de l’apparente objectivité d’un film comme Un homme très recherché. Malgré le personnage du bon flic arabe (comme dans Couvre-feu du reste), et celui du Tchétchène musulman accusé à tort, l’idée générale est que l’occident fait face à une menace exclusivement islamiste. Pire, le grand méchant du film est un professeur islamique apparemment modéré et pro-occidental. Ainsi, l’islamisme modéré cacherait-il l’islamisme radical ? Les imams prônant la paix ne seraient-ils que des épouvantails prompts à recruter de futurs terroristes ?
« Derrière chaque visage basané, nous voyons un homme qui peut nous tuer » entend-on de la bouche d’un personnage du film, juste critique d’une paranoïa généralisée. Malheureusement, sa conclusion est plus discutable (moins de liberté pour plus de sécurité ?). Un autre mêlera dans la même phrase, justifiant la menace, le conflit palestinien, la guerre en Iraq et l’Afghanistan. En soi, faire de ses personnages des ignorants (bien qu’ils ne soient pas présentés comme tel ici) ou des racistes ne rend pas le film ignorant ou raciste. Mais choisir de raconter une histoire, dans un style très réaliste d’autant plus, de services secrets combattant l’islamisme radical en Europe est un choix politique aux répercussions évidentes. A côté de mastodontes moins subtiles, Un homme très recherché peut paraître mesuré, il n’en est pas moins dangereux. Certains diront que le film tombe mal, je dirais qu’il est irresponsable.
Dès lors, que faire ? Tout le monde n’a pas le recul d’un Edwy Plenel sur nos compatriotes musulmans ni la distance nécessaire pour évaluer des clichés si profondément ancrés. Chaque spectateur pourrait peut-être alors s’essayer à une expérimentation mentale. On pourrait remplacer le méchant musulman par un catholique dans sa tête. Ou bien se demander si le terroriste à l’écran était juif plutôt qu’arabe ? De cette simple interrogation, combien se sentiraient révoltés ? Combien sortiraient de la salle lorsque Schwarzenegger dézinguerait tous ces méchants juifs ou catholiques radicaux (comme il dézingue tous ces méchants extrémistes palestiniens dans True Lies) ?
C’est aussi à nous, auteurs, réalisateur, d’évaluer l’imaginaire auquel nous nourrissons le public. La facilité scénaristique du méchant arabe ne suffit pas à justifier sa présence. Soyons exigeants et justes. Evaluons les possibilités de personnages selon d’autres critères que leur appartenance ethnique ou religieuse. Imaginons d’autres histoires. Utilisons d’autres sujets d’actualités pour nos histoires réalistes que les horribles décapitations et autres attentats islamistes.
En tant que citoyens, nous devons nous insurger face à la stigmatisation. En tant qu’artistes, nous devons la combattre. Comme le faisait remarquer Reda Kateb, le changement est en marche en France. Nous pouvons et devons encore faire mieux. A quand la révolution arabe à Hollywood ?
Quand un peuple est dénigré, tous les peuples le sont.
[i] http://www.lesinrocks.com/2014/09/06/cinema/reda-kateb-place-larabe-change-cinema-francais-11521028/
[iii] Reel bad arabs, Olive Branch Press (updaté en 2009)