Menu

Beaucoup de bruit pour rien

4 August 2018

Il y a des signes qui ne trompent pas. Un film produit par Michael Bay par exemple ne brille jamais par sa subtilité. Il aurait fallu se méfier.

« One of the most poetic horror movie of recent years »i s’enthousisaste pourtant la critique de cinéma du TIME magazine à la sortie de Sans un Bruit, rejoignant nombre de ses confrères américains en manque de satires sociales et une grande partie de la presse européenne plutôt conquise au film d’horreur de John Krasinski.

Hollywood nous a tendu un piège et beaucoup d’entre nous sommes tombés dedans. Un des couples star d’Hollywood (Krasinski/ Blunt) se retrouvent côte à côte dans un film d’horreur au dispositif prometteur. La bande annonce est un bijou du genre : des images montrant une grande maîtrise des codes, une musique angoissante, des suggestions horrifiantes et surtout deux petites phrases prononcées en chuchotant, nous laissant espérer un film muet, « sans un bruit », donc génial. Le défi ne pouvait que provoquer de grandes attentes. Des monstres qui se déplacent grâce aux sons, venant dévorer les imprudents, les maladroits, les malchanceux : personne n’y avait pensé avant ! Comme dans tout bon film d’horreur, le dispositif est simple et s’adresse à des peurs primales. Comment puis-je vivre si je ne peux pas faire de bruit ?

Emily Blunt (Evelyn Abbott), John Krasinski (Lee Abbott)

Mais comme souvent à Hollywood, l’idée de génie a accouché d’un film banal. Nous nous attendions à un film d’horreur magistral, les journalistes peinent déjà à s’accorder sur son genre. Première annonce un « slasher réjouissant », Le Figaro un « family movie bourré de trouvailles », d’autres un thriller, un film d’épouvante, une série B…

Bien sûr, l’ère est au « disruptif », nous l’entendons mille fois par jour. Krasinski aurait pu brouiller les pistes. Il nous aurait surpris avec un film hybride, qui change de genre peu à peu, ou qui se joue des codes comme avait pu le faire Wes Craven dans les années 90. Mais non, son intention était de réaliser un grand film d’horreur comme « métaphore de la parentalité »ii.

Hors nous vivons une période de résurrection du genre horrifique. Les cerveaux des scénaristes bouillonnent et enchaînent les nouvelles trouvailles. Un film puissant dans son propos, intelligent dans sa forme, maîtrisé dans sa charge politique comme Get Out multiplie par 100 le degré d’exigence du public.

Pour qu’un film d’horreur soit réussi, il y a des règles à respecter. On ne montre pas le monstre trop tôt comme le ferait par réflexe n’importe quel réalisateur de film d’action. La suggestion n’est pas qu’un outil du genre, c’est une nécessité. Sans un Bruit tente de nous effrayer en nous dévoilant trop vited’abominables créatures. C’est un échec : on a toujours plus peur de ce que l’on ne voit pas.

Le réalisateur/scénariste pêche aussi par mépris envers l’intelligence du public. Ou bien est-ce un choix commercial du type « moins il y a à réfléchir, plus il y a d’argent à se faire » ? Les informations nous sont distribuées à la pelle. C’est d’abord l’éternel recours aux archives télévisuelles qui annoncent la fin d’un monde et l’arrivée des monstres. Puis, le tableau sur lequel le père de famille inscrit tout ce qu’il sait de ces bêtes qu’il étudie pour un jour les confronter. A force de trop en donner au spectateur, Krasinski le prive de surprises réjouissantes et l’oblige à jouer de basiques jump scaresiii. L’imagination, princesse incontestée de la terreur, est ici très peu sollicitée.

Mais peut-être que la plus grande faute de Krasinski, c’est la paresse scénaristique. Les incohérences, parfois acceptables dans certaines productions d’auteur, ces « maladresses heureuses », sont impardonnables dans un film d’horreur digne de ce nom. Jordan Peele, le réalisateur de Get Out, l’exprimait clairement à la sortie de son film : jamais un personnage ne doit faire quelque chose qui ne nous paraît pas logique dans son contexte. Pensez à l’idiot.e qui descend les marches de l’escalier grinçant pour ouvrir une porte dont on entend le monstre respirer derrière. « Mais non, n’y va pas » pensons-nous en chœur dans la salle obscure.

Attention spoiler : personne ne comprend pourquoi le héros de Sans un Bruit laisse tomber sa hache alors qu’il capte l’attention des monstres pour sauver ses enfants. C’est un suicide invraisemblable, une tâche au milieu d’un moment fort.

Les illogismes essaiment le film. Le nouveau né attend bien sagement que sa maman soit à l’abri pour lâcher son premier cri. Finalement, Evelyn (Emily Blunt) aura raison de son premier monstre en lui explosant la tête avec un fusil à pompe. Cela pose sérieusement la question de l’efficacité de la première armée mondiale… Comment les militaires ont-ils pu être mis en déroute ?

Aussi, l’idée même de neutraliser ces créatures auditivement ultra sensibles par des acouphènes n’est certes pas totalement illogiqueiv mais peu surprenante et surtout déjà testée au cinéma et de manière bien plus originale (Mars Attacks ! De Tim Burton, 1996).

Et que penser de cette scène de dîner en famille avec tous ces jolis produits bios, disposés sur la table façon Instagram, cette miche de pain sortie avec amour d’un four qu’on imagine silencieux ? Certain.es répondront que c’est invraisemblable, que ces rescapés ont sûrement mieux à faire dans la journée pour survivre que de gérer à la main des acres de champs de blé, de cultiver vingt espèces de légumes et de façonner leur propre pain (sans parler de cuisiner le tout). Moi je dirais qu’il s’agit là de l’image du film, la « métaphore de la parentalité » façon Krasinski. La femme à la cuisine, l’homme au travail manuel. La maman qui dorlote ses enfants, le papa qui les protège. C’est une image à la fois bobo-isante et rétrograde du couple parfait.

Le film se termine par un coup de fusil en pleine tête et Evelyn qui recharge son arme. Les futurs étrangers (aliens in english)  de la maison n’ont qu’à bien se tenir ! Le pire dans Sans un bruit, ce n’est pas son ratage cinématographique, c’est sa vision du monde.

i « L’un des films d’horreurs les plus poétiques des dernières années » Stéphanie Zacharek (TIME, 16 avril 2018)

ii Comme il l’a répété à longueurs d’interviews, notamment : https://www.melty.fr/sans-un-bruit-john-krasinski-notre-interview-exclu-a646518.html

iii Littéralement les « sauts de peur », dispositif courant dans les films d’horreur qui consiste avec des images furtives ou choc à faire sursauter le spectateur

iv Bien que là aussi on se demande comment l’armée US est passée à côté

    Leave a comment

    This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Total: